Je suis un
père.
Je suis là face à la mer calme et brillante.
Je pense à mon
pays la au loin, de l’autre coté vers le Levant.
Je repense à ma ville, là ou je suis né. Vous la connaissez pour
son savon, mais moi je me souviens de sa douceur, de son vieux marché et des
rues ou je jouais enfant. Je me souviens des bruits et des odeurs qui ont
bercés mes premiers pas.
Bien sur ce n’était
pas le paradis mais jamais je n’ai eu peur ou faim.
J’ai grandi. Pour étudier je suis allé dans la capitale. Oui, j’étais
un privilégié. J’ai eu le privilège d’apprendre des langues. J’ai découvert la
philosophie des Lumières. J’ai appris le français, cette langue qui respirait
la Liberté, l’Egalité et la Fraternité. La France c’était un pays idéal presque
une utopie.
Puis j’ai travaillé. Je suis devenu fonctionnaire. Ne croyez pas
que j’admirais les dictateurs qui nous gouvernaient mais il fallait bien manger
et aider ma famille.
Je me suis marié. Qu’elle était belle ma Nawal ! Nous avons eu
des enfants Trois beaux enfants pour qui je rêvais d’une vie calme et sereine.
Je voulais tellement en faire les pousses d’une nouvelle Syrie… Une Syrie ou
chacun serait libre de parler, de prier Dieu selon ses croyances, de pouvoir
lire et écrire librement. Oui je rêvais d’une Syrie, moderne, libre et
démocratique.
Les premières
manifestations ont eu lieu. Comme j’étais heureux. Enfin mon
pays se réveillait. Tous ces jeunes, vieux rassemblés pour demander enfin plus
de liberté. J’ai rêvé d’élections avec des candidats qui ne seraient pas tous
du même parti. J’ai rêvé d’un meilleur partage des richesses et d’éducation
pour tous. J’ai même rêvé que ma fille aurait les mêmes libertés et droits que
mes fils.
Je pensais que
tout allait bien se passer. Ils étaient si nombreux dans les rues, et tout
les pays démocratiques et occidentaux nous soutenaient. Il ne pouvait rien nous
arriver et je me préparer à servir le nouvel ordre démocratique qui allait
surgir de cette révolution.
Mais les
soldats ont tirés, les tanks et les avions ont lâchés leurs bombes ;
et les hommes comme mes illusions sont tombés dans un immense flot de sang.
Les
occidentaux n’ont pas bougé et se sont tu.
J’ai fuis. Je suis
retourné dans la ville de mon enfance. Je voulais retrouver ma famille, même si
mes parents étaient depuis bien longtemps enterrés au milieu de leurs frères et
sœurs.
La résistance s’organisait. Je pensais que toutes ces grandes
démocraties allaient nous aider. Notre combat était juste. Ils nous ont
simplement abreuvés de bonnes paroles et de promesses non tenues.
Et les fous
sont arrivés. Ils étaient bien armés eux, et savaient se battre. Ils avaient
déjà leurs preuves en Irak.
Mais ils étaient fous. On
dit « fou de Dieu » ; mais Dieu ne peut pas soutenir ces
barbares qui pillaient, violaient, et massacraient tout ceux qui n’étaient
pas à leur image. Oui des fous mais pas des serviteurs de Dieu ou du Prophète.
Alors que
faire ? J’étais pris entre un gouvernement sanguinaire, et des
combattants barbares venus tout droit d’une époque que je croyais révolu. J’aurais
bien voulu me battre avec mes mains, avec mes mots mais ils ne pouvaient faire
taire un char ou un fusil. Et surtout, je suis un père.
J’ai fuis.
Quel père laisserait ses enfants à la promesse du massacre et de la barbarie.
Pour sauver mes enfants j’ai fuis la terre qui m’a vu naitre et où mes parents
reposent.
J’ai rejoins la Turquie. J’ai
laissé derrière moi tout les souvenirs de ma vie passée. Nous avons été parqués
dans des camps de tentes. Nous y avons côtoyés toutes les victimes et les
témoignages d’horreurs que la guerre peut engendrer. Nous n’étions plus des
Irakiens ou des Syriens, mais des réfugiés ou des immigrés. Je voulais que mes enfants puissent
échapper à tout ça. Leur donner une nouvelle vie dans un pays où ils
pourraient jouer, grandir et apprendre sans craindre les bombes.
Nous avons été rackettés par des passeurs. Ils nous ont fait embarqué beaucoup trop nombreux dans un bateau
beaucoup trop petit. Comme pour me punir de ma fuite la mer m’a pris ma
Nawal. Je n’avais plus mes deux bras pour rassurer et réchauffer mes enfants.
Nous avons débarqué mouillés, frigorifiés et épuisés sur une plage
de ce pays qui est le berceau de toutes les démocraties.
Le même matin, un peu plus loin, une journaliste prenait en photo le corps d’un enfant que la mer
avait rejeté et que personne n’avait pu sauver. La photo a été vue et revue. L’Europe et le Monde ont pleuré sur ce
pauvre petit être innocent victime de la guerre, de la rapacité et de l’égoïsme.
L’Europe s’est réveillée. Elle s’est émue. Nous n’étions plus des
parias mais des victimes. Il a fallu cet enfant et cette photo pour que ce
continent des lumières se souvienne de ses valeurs.
Nous avons été accueillis par des fleurs et des applaudissements en
Allemagne.
Que cela m’a fait chaud au cœur. Quelle joie de voir ces hommes et ces
femmes nous tendre les bras et prendre en compte un peu de notre peine et de
notre misère !
Mais moi je ne voulais pas rester en Allemagne. Je voulais rejoindre ce pays qui depuis des
siècles avait inscrit Liberté, Egalité et Fraternité dans sa constitution. Ce
pays que j’admirais depuis ma jeunesse. Ce pays ou mes enfants pourraient se
construire une nouvelle vie sans peur, sans guerre et sans exclusion. Ce pays ou les fous ne pourraient plus nous
atteindre.
Nous y sommes allés. Bien sur j’aurais préféré être accueilli
autrement que par des policiers. Mais on nous a donné un toit, de quoi manger
et nous habiller. On nous a donné des papiers et mes enfants ont commencés à
apprendre le français. Mais surtout mes enfants ont retrouvés le sommeil et le
sourire.
Puis les fous
ont frappés Paris. Ils ont
massacrés une jeunesse innocente sur des terrasses de café et dans une salle de
concert. Même ici, dans mon refuge, les fous pouvaient frapper. Mais les
fous d’ici étaient bien différents de ceux de Syrie. Certains étaient nés ici,
ils avaient eu la chance de pouvoir étudier, construire et rêver.
Comment
avaient ils pu faire ça ?
Pourquoi prendre des armes contre des innocents ?
Comment pouvaient-ils
penser servir Dieu en faisant couler tout ce sang ?
J’ai vu le
peuple se rassembler autour de sa peine. Je les ai vus pleurer et déposer des
fleurs Place de la République. J’ai vu tout ces gens reprendre leur
devise : Liberté, Egalité, Fraternité. Que c’était beau et j’étais alors
sur que jamais la folie ne pourrait contaminer ce pays si fier de ses valeurs.
Mais le camion
a foncé.
Il a fauché des vies, la, ici au bord de cette mer que je contemple
maintenant. Il a fauché homme, femme, enfant sans pitié et sans faire de
différences. Français et touriste,
catholique et musulman, rassemblés dans un même flot de sang rouge. Il a
fauché le jour de la fête nationale ou le peuple de France se rassemble pour
fêter sa liberté.
Depuis les regards ont changé. Je sens que
nous ne sommes plus les bienvenus. Je vois bien les regards remplis de haine ou
de peur.
Je voudrais bien leur dire que j’aurais bien donné ma vie pour que
ce camion ne vienne jamais. Je voudrais
leur dire que moi aussi je suis triste. Je voudrais leur dire qu’ils
peuvent m’enfermer si cela les rassure. Mais surtout je voudrais qu’ils sauvent
mes enfants et en fassent des enfants de la République.
Mais je vois
bien dans leurs regards qu’ils ne m’écouteront pas.
Alors je reste assis la à penser à tout ce que j’ai perdu. Je me
souviens de la terre de mon enfance que je ne reverrais certainement plus. Je
pense à la femme de ma vie qui repose dans cette mer si belle. Mes enfants sont
la. Je ne suis plus quoi leur dire ou
quoi faire. Alors je pleure.
Je pleure pour mes enfants ; parce que je suis un
père.