Ce matin, dans la file d’attente de la boutique, j’avais un client
qui puait. Un mélange d’odeurs. Urine, sueur, et d’autres moins définissables
mais qui nous obligeait à garder une certaine distance.
J’ai bien été obligé de l’accueillir et de lui demander le but de sa
visite. Il faut savoir rester professionnel quel que soit la situation.
-
Que puis-je faire
pour vous ?
-
Rien mon gars,
rien… Tu peux rien faire pour moi mon gars.
Je me suis d’abord dis que j’étais tombé sur des malades psy qui
vivent dans les appartements pas très loin de la boutique, ou alors sur un
alcoolo …. Je me voyais déjà encore être obligé d’appeler la police municipale
pour le faire sortir.
Mais non, ça ne collait pas… Il y avait quelque chose dans son
regard, dans sa manière de parler qui ne collait pas avec mes stéréotypes.
Il me regardait droit dans les yeux, il ne titubait pas…
-
T’inquiète mon
gars, je m’en vais….
Et il est sortis….
Je ne sais pas vraiment pourquoi mais je l’ai suivi, je l’ai
rattrapé….
J’avais envie de savoir, savoir pourquoi, savoir si je pouvais l’aider
à trouver une douche….
Il s’est arrêté….
-
C’est vrai mon
gars que je pue. Je pue, je le sais et je m’en tape. Encore mieux j’en suis
fier. Tu demandes pourquoi ? Et bien je vais t’expliquer, ça fait déjà
deux ans que je vis dans les rues. Je l’ai pas choisi, faut pas croire que l’on
choisit ou que l’on aime ça.
Moi aussi, j’aimerais
bien avoir un p’tit appart, même un tout petit studio, avec un radiateur, un
lit, de quoi faire cuire, et une douche. Mais tu vois j’ai plus une tune alors
je vis dans la rue, et tout ça c’est un rêve pour moi maintenant.
Je ne suis pas
le seul dans ce cas je le sais bien… Il y en a d’autre comme moi. Tu sais on se
connait, on se parle et je n’en connais pas beaucoup qui n’ai pas honte. Est-ce
que j’ai honte de puer ? Non pas du tout, bien au contraire, ma puanteur c’est
ma révolte.
Ça fait des
mois que je vis sur le pavé, des mois que l’on passe à côté de moi sans me
regarder, des mois que l’on me voit sans me regarder. Tu vois un peu comme ce
poteau que tu ne regardes que quand tu te cognes dedans.
Je me fais pas
de film, je sais qu’un matin on me retrouvera raide sur un pas de porte ou
affalé sur un trottoir. Et ce jour-là vous me remarquerez à peine plus. Vous
vous étonnerez peut-être juste de voir les pompiers débarqués et puis vous
oublierez. Je crèverais tout seul, on fera disparaître mon corps.
Qui se
souviendra de moi ? Personne.
Alors tu vois
quand je débarque au milieu d’une foule, pendant une fête, pendant les soldes
et bien là vous êtes bien obligé de me remarquer. Enfin bien obliger de subir
cette odeur qui heurte vos narines qui ne sont plus habitué. Tu vois dans les
regards, la, j’existe, et au fond de moi chaque regard de colère ou chaque
grimace de dégoût, me font du bien.
Ma victoire
serait de puer tellement que mon odeur se grave dans la mémoire olfactive de tous
ceux que je croise. Tu vois mon gars, puer c’est aussi encore être vivant,
quand je serais mort on embarquera mon corps avant qu’il se décompose, et ça ne
vous dérangera pas.
Puer c’est ma
révolte, et là peut-être que quelqu’un se souviendra toute sa vie de mon odeur.
Ce serait ma victoire sur l’oublis.
Il avait déjà gagné. Ce n’est pas son odeur dont
je me souviendrais, mais de la révolte de ses mots et de la tristesse de son
regard.
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